Lorsque le comte apprit la trahison, les deux amants étaient déjà hors de Castille. Le comte Fernandez tout dolent annonça son départ en pèlerinage pour expier quelque péché hypothétique qui aurait été la cause de son infortune, mais au lieu de se diriger vers Compostelle il prit la direction inverse, vers le sanctuaire de la Vierge de Rocamadour en France.
Suivant le rite il se mit des habits de pauvre et s’en fut à pied avec un seul écuyer. Sur le chemin, il traversa la ville où le séducteur français vivait avec son épouse ( de « droit » de Garcia et de « fait » du français). S’arrêtant dans l’auberge il posa quelques questions discrètes sur le couple adultère. Des villageois commentèrent que le bonheur des seigneurs était assombri par la mauvaise relation entre la fille du Seigneur, doña Sancha qui n’acceptait absolument pas le concubinat de son père et Argentina l’infidèle.
Le lendemain, la belle doña Sancha allait réaliser ses œuvres de charité( seule activité que toute jeune dame aristocrate pouvait réaliser, seule, hors du château) Or, les problèmes avec sa marâtre Argentina l’avaient épuisé elle envoya donc sa servante au village pour y chercher quelque pauvres afin de leur porter secours, à domicile. La soubrette sortit du château et rencontra à la porte de l’auberge le comte Fernandez et son écuyer. Elle remarqua la beauté des mains du castillan( signe sans aucun doute de son oisiveté et de sa distinction). Elle les invita donc à l’accompagner au château où doña Sancha leur donnerait des aliments et une aumône ( Il est probable que les charmes de l’écuyer aient aussi compté). Les faux pèlerins acceptèrent cette offre immédiatement.
Une fois dans la forteresse, la servante mena le pauvre « le plus élégant » (le comte Fernandez) aux appartements de doña Sancha et s’en fut s’occuper de l’écuyer. Une fois que Sancha lui eut demandé qui il était et où il allait- ce à quoi Garcia répondit de bonne forme, assumant le rôle de pèlerin pauvre- la jeune femme décida de s’épancher et lui demanda de prier pour elle au terme de son pèlerinage. C’est ainsi que notre faux pèlerin comprit la situation familiale extrême dans la quelle se trouvait son rival. Par tant, Garcia décida de conter la vérité à Sancha : qu’il n’était pas un pèlerin mais le comte de Castille, et que la trahison de Argentina, sa marâtre, l’avait poussé à prendre la route pour la chercher et se venger. Sancha trouva ce récit plein d’émotion ainsi que les intentions de Garcia et s’offrit à l’aider. Le comte promit à Sancha que si elle l’aidait dans sa vengeance il l’épouserait une fois qu’il eut tué Argentina et que les délais légaux leur permettraient de se marier. Comme leur entente avait été si bonne et si rapide, les promis n’attendirent pas la nuit de noces pour consommer le fait. Sancha et le comte passèrent donc toute la nuit ensembles, approfondissant leur connaissance, avant l’aube, Sancha et la servante firent sortir du château le comte et son écuyer (bien certainement, la servante et l’écuyer eux aussi avaient contre-signé l’entente franco-espagnole) sans que personne ne s’en soit rendu compte.
Trois nuits plus tard, Sancha fit entrer Garcia dans le château et le cacha sous le lit de son père et de Argentina. Le français étant un peu malade, doña Sancha avait proposé de dormir dans la même alcôve afin de l’assister immédiatement en cas de malaise. Celui-ci et Argentina furent enchantés du changement d’attitude de la jeune fille et acceptèrent. Profitant d’un moment de distraction des amants, Sancha attacha une ficelle au pied de Garcia pour le prévenir du moment le plus opportun pour exécuter ses projets. Une fois le couple endormi, Sancha tira sur le cordon, le comte sortit de dessous le lit et égorgea les deux adultères. Ensuite leur coupant le cou et emportant les deux têtes, il repartit pour la Castille avec Doña Sancha. À Burgos il fit réunir ses vassaux, leur conta comment il avait lavé son honneur et leur annonça son nouveau mariage. Peu de temps après, un fils naquit au château : Sancho Garcia, qui poussa en force et en ambition. Peut être même un peu trop vite.
En l’an 990, le jeune héritier Sancho Garcia leva les armes contre son père le comte Garcia Fernandez. Entre les deux la lutte fut sanglante, circonstance que les maures mirent à profit pour envahir la Castille. Ils détruisirent Ávila qui venait d’être repeuplée, et montèrent vers le nord, détruisant Clunia et San Esteban, brûlant les moissons et tuant moultes chrétiens.
Mais là n’est pas la fin de l’histoire. Le fait est qu’elle voulait absolument être reine, et vues les options disponibles, la meilleure était de devenir reine maure, et pour ce il lui fallait éliminer son fils afin d’être la seule propriétaire du comté pour pouvoir l’apporter en dote au calife de Cordoue. Elle décida donc d’empoisonner son fils avec une potion d’herbes. Un après midi elle se mit à préparer dite potion dans ses appartements, et pour faire elle demanda à sa servante de lui apporter certains ingrédients. Ce qu’elle fit ; mais comme elle se doutait de que doña Sancha allait empoisonner son fils, elle le conta à son amant secret. Or le dit amant étain l’un des chasseurs qui accompagnaient le comte et il s’en vint le lui raconter. Cette nuit là, le comte Sancho Garcia prit place pour le dîner. Circonstance que doña Sancha (sa mère) mit à profit pour lui offrir une coupe de vin (qu’elle avait empoisonnée antérieurement). Le comte, en toute courtoisie lui dit de boire elle-même. Elle, surprise et allarmée, refusa, disant que c’était un vin qu’elle avait fait venir spécialement pour lui. Le quel répondit que c’était une bonne raison de plus pour qu’elle le boive elle. Le fait est que décider qui devait boire en premier devint une violente discussion et le comte obligea sa mère à boire son vin. La comtesse traitresse mourut ainsi.
Le comte tira ses propres conclusions de toute cette expérience : premièrement que son chasseur lui avait sauvé la vie pour avoir une liaison avec la soubrette de sa mère qui lui avait dit qu’il allait être assassiné. De même il remarqua ( on ne sait pas encore trop bien pour quoi cette conclusion) que le chasseur était du village de Espinosa, un village du nord de Burgos, proche de Oña. Face à tant de coïncidences il décida que dorénavant sa garde personnelle serait composée uniquement par des chasseurs de Espinosa. Et puisque les comtes de Castille devinrent rois d’Espagne, la garde personnelle des monarques hispaniques a toujours été composée de garçons nés à Espinosa de los Monteros. Les célèbres »Chasseurs de Espinosa », prédécesseurs de la Garde Royale.
C’était là la légende de la Comtesse traitresse un véritable feuilleton médiéval, connu dans toute l’Europe.
Texte d' Ignacio Suarez-Zuloaga et les illustrations de Ximena Maier