La rivière Bidassoa trace une ligne invisible qui sépare deux frontières, celle de la France et de l'Espagne. Cette ligne marque à son tour la division entre les villes d'Irún, qui appartient au Pays basque espagnol, et d'Hendaye. C'est là, entre ces deux rives qui embrassent la rivière, qu'émerge une petite île que peu de gens remarquent. A peine 200 mètres de long, où personne ne vit et personne ne peut passer.
Pourtant, ce curieux îlot, baptisé "île des faisans", a été un grand témoin de l'histoire. Aujourd'hui, depuis le milieu du XIXe siècle, son administration est partagée entre l'Espagne et la France. Du 1er février au 31 juillet, elle est espagnole, du 1er août au 31 janvier, elle est française.
L'île des faisans est en fait plus un îlot fluvial qu'une île. Il s'agit d'un îlot d'exactement 224 mètres de long sur 41 mètres de large. Cela en fait le plus petit condominium du monde, défini comme un lieu régi par deux États ou plus.
Sur ses bords, seuls quelques peupliers se dressent à l’instar d’hautes murailles d'un îlot où la présence de l'homme n'est palpable que dans l'existence d'un monolithe. Cette pierre artificielle est le seul vestige qui reste de l'histoire qui a fait de l’île des faisans un lieu de souveraineté partagée.
Une inscription commémore les événements passés ici. Ainsi, la face du monolithe tournée vers l'Espagne est en espagnol, tandis que la face tournée vers la France est inscrite en français. Quels sont les événements dont l'île a été le témoin ? Pourquoi est-elle administrée en condominium ?
Au milieu du XVIIe siècle s'achève la guerre dite de Trente Ans, un conflit européen qui oppose la Maison des Habsbourg à la France. Des nations comme le Danemark, la Suède, la Bohême et l'Espagne se sont battus contre les français. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'une fois le conflit terminé par la signature de la paix de Westphalie en 1648, les monarchies d'Espagne et de France n'ont pas réussi à mettre fin à leurs hostilités mutuelles.
C'est pour cette raison, et c'est là que l'île des Faisans entre en scène, que le 7 novembre 1659, un nouveau pacte y est signé : le traité de paix des Pyrénées. La signature de ce document a mis fin à la guerre entre les deux États. Les 124 articles qui composent ce traité ont été signés par les représentants du roi Philippe IV d'Espagne et du roi Louis XIV de France. Au moins 24 réunions ont été nécessaires pour parvenir à un consensus entre les deux pays, dont l'une a été préparée par Velázquez lui-même peu avant sa mort. En raison de ce grand nombre de réunions, l'île est également connue comme l'île de la conférence.
La paix des Pyrénées est également ratifiée par le mariage entre Louis XIV et l'infante Marie-Thérèse d'Autriche, fille de Philippe IV, qui a lieu à nouveau sur l'île. Auparavant, en 1615, le mariage entre le monarque français Louis XIII et la princesse espagnole Anne d'Autriche, fille de Philippe II, avait également été organisé ici. De même, Isabelle de Bourbon et Philippe IV y ont eu leurs mariages correspondants. Tous ces mariages ont donné un autre nom à l'île : l'île des princesses.
Au XIXe siècle, le traité de Bayonne a été signé dans l'intention de mettre un terme aux disputes incessantes entre les pêcheurs espagnols et français, qui trouvaient dans l'île un prétexte pour se disputer. Ce traité impliquait le partage de la souveraineté sur l'île, une législation qui est restée en vigueur jusqu'à ce jour. Ainsi, pendant la moitié de l'année, les membres du commandement de la marine de San Sebastián sont responsables de sa juridiction. Le 1er août, la souveraineté de l’île passe aux mains du commandement de la marine de Bayonne.
Dans la pratique, toutefois, ce sont les conseils municipaux d'Irún et d'Hendaye qui sont chargés de la gestion du territoire. Il faut seulement s'assurer que personne n'y entre ou n'y campe. En 1843, l'écrivain Victor Hugo a visité l'île des faisans se plaignant du fait qu’il n'y avait pas de faisans. " « Il n’y a pas de faisans dans l’île des Faisans, qui n’est qu’une façon de plateau vert. Une vache et trois canards représentent les faisans ; comparses loués sans doute pour faire ce rôle à la satisfaction des passants » ", a-t-il écrit.