Un passant se promène dans la rue Nuncio Viejo, située à quelques mètres de l'impressionnante cathédrale de Tolède. Soudain, dans une petite ruelle, il tombe sur une inscription qui dit : “Esta calle es de Toledo” / "Cette rue appartient à Tolède". "Évidemment", pensera le promeneur, comme beaucoup d'autres auront pensé étrangement en découvrant d’autres plaques disséminées dans la ville avec la même phrase. Cependant, ce signe a une explication plus complexe. C'est l'un des nombreux vestiges qui subsistent des rues volées de Tolède.
C'est en 1561 que la capitale du pays a été transférée de Tolède à Madrid. C'est un tournant pour la ville, qui entame un processus de déclin. Les nobles ont alors abandonné leurs maisons dans la ville de La Manche suivant les pas de Philippe II. De nombreuses maisons palatiales restent donc vides.
C'est dans ce contexte que les nombreux couvents situés hors des murs de la ville ont profité de la situation pour acquérir ces lieux à très bas prix. De plus, à cette époque, nombre de ces couvents étaient à la tête de leurs ordres religieux correspondants et possédaient une grande richesse et un grand pouvoir. Tolède est devient alors une ville de couvents. Jusqu'à ce point, tout était légal, surtout parce qu'une grande partie des terres de Tolède appartenait à l'archevêché.
Cependant, dans l'intention d'étendre leurs installations ou de les joindre aux maisons adjacentes, les couvents ont commencé à occuper des rues qui ne leur appartenaient pas. À partir de 1561, ce vol de l'espace public, illégal dans la plupart des cas, est devenu une pratique courante pendant au moins 200 ans. Les couvents, mais aussi certains particuliers, ont ainsi volé au moins 70 rues publiques au cours de l'histoire. Plus de 70 rues volées qui non seulement réduisaient le lieu de transit des voisins, mais dans de nombreux cas les obligeaient à prendre des chemins plus longs en parcourant la ville.
Comme on peut le déduire, tous ces vols ont modifié, année après année, le plan de Tolède, ce qui se reflète dans la comparaison des plans de différentes périodes. Mais pourquoi rien n'a été fait par l'administration publique ? Comment les couvents ont-ils pu maintenir ces rues volées, dans certains cas, jusqu'à aujourd'hui ?
La vérité est que, une fois la capitale perdue, les mairies se sont retrouvées appauvries et en sous-effectif. En effet, selon un article du journal ABC, "le recensement des huissiers de Madrid, capitale de l'Empire, en 1630 ne dépassait pas 43 membres". Compte tenu de ce chiffre, on peut en déduire que le nombre de forces d'autorité à Tolède serait beaucoup plus faible. On pense que c'est la raison pour laquelle les administrations ne sont pas intervenues dans cette affaire.
Cependant, il y a eu plusieurs cas où la municipalité a réussi à récupérer une rue. Lorsqu'ils l'ont fait, ils ont pris l’habitude d'y apposer une plaque indiquant : "Cette rue appartient à Tolède". De cette façon, personne n'aurait de doute quant à la propriété de la rue. Trois de ces plaques subsistent encore dans la ville, rappelant aux passants un aspect très controversé de l'histoire de Tolède, ou du moins les amenant à se demander pourquoi.
On ne sait pas combien de rues volées ont été récupérées pour être utilisées par les citoyens. Pas beaucoup, certainement. Ce que l'on sait avec certitude, c'est qu'au moins trois d'entre elles ont été sauvés, puisqu'elles portent la célèbre plaque sur leurs murs. Parmi elles, les rues Nuncio Viejo et San Vicente, qui possède encore des barreaux aux deux extrémités pour empêcher le passage des voisins.
Enfin, il y a le cas curieux de la rue Barco, dont la plaque a été placée dans une ruelle à côté du couvent de Benitas. À cette occasion, l'enseigne fut placée en 1644, lorsque l'administration empêcha le couvent de s'approprier la rue. Malgré cela, des années plus tard, la mairie a cédé la rue aux nonnes, qui conserve toujours la plaque.