Les cagots, la communauté la plus mystérieuse des Pyrénées. Marginalisés pendant des siècles par des voisins qui leur attribuaient des dizaines d'origines et de raisons pour les répudier. Certains les considéraient comme des descendants des Goths qui n'ont jamais abandonné l'arianisme. Pour d'autres, ils étaient des cathares qui ont dû fuir les persécutions en France pour se retrouver soumis à la plus grande discrimination sur le territoire espagnol. Criminels fugitifs, lépreux, serviteurs du diable... Au fil des siècles, d'innombrables histoires ont été racontées. Ce n'est qu'au cours du XIXe et du XXe siècle, avec l'érosion progressive des préjugés, qu'il a été possible de faire la lumière sur leur identité. Mais les questions relatives à leur origine restent sans réponse. Alors, oui, les cagots (agotes en espagnol) sont la communauté la plus mystérieuse de la vallée de la Baztan.
Il faut donc repartir de la seule certitude dont nous disposions à ce sujet : les cagots sont présents dans la vallée de la Baztan depuis le XIIe siècle. Ce fait exclut l'une des théories avancées, qui les lie aux communautés cathares ayant fui la France. Il est vrai qu'un grand nombre de cathares se cachaient dans les Pyrénées, mais la croisade cathare a commencé avec l'arrivée du XIIIe siècle. A cette époque, il y avait déjà des cagots installés et discriminés dans la Baztan.
La possibilité qu'il s'agisse d'une communauté de lépreux a également été écartée au cours des derniers siècles. L'écrivain Toti Martínez de Lezea, dont les travaux portent principalement sur les romans centrés sur le Moyen Âge espagnol et européen, résume dans cette conversation combien cette hypothèse est insuffisante : " on disait qu'il s'agissait de lépreux, ou de descendants de lépreux, ce qui est incertain, puisqu'il existait des léproseries et que tous les malades étaient obligés d'y vivre ". Les cagots, malgré la marginalisation dont ils ont souffert, faisaient tout de même partie d'une société à laquelle ils participaient. Dans les limites et les règles imposées, mais ils ont participé.
En France, des chansons ont été écrites à leur sujet. La chanson suivante sur les cagots de la vallée de la Josbaig (en région Nouvelle-Aquitaine) en est un bon exemple :
Ils sont comme des porcs ladres,
Ils n’ont aucun sentiment ;
Ils endurent mille outrages,
Chaque jour, chaque moment ;
Mais à son tour la vengeance
Ne manque pas d’arriver.
S’ils font aucune résistance.
Ils se battent jusqu’à crever.
A Géronce, Orin et Saint-Goin,
A Moumour, Geus et Préchac,
On voit, même à Aren,
Tous les Cagots de Josbaig
Célébrer avec allégresse
Toutes leurs institutions ;
Mais après, dans la détresse,
Ils se noient dans les libations.
A bas donc la Cagotaille !
Détruisons tous les Cagots,
Détruisons la Cagotaille,
A bas donc tous les Cagots !
C'est peut-être la théorie la plus répandue : les cagots étaient des hérétiques convertis. Cela expliquerait le mauvais traitement par l'Église. Cela explique également les légendes qui ont survécu sur leur apparence et leur mode de vie. À cette époque, au milieu du Moyen Âge, ceux qui ne professaient pas la foi catholique étaient traités avec mépris, confinés dans des quartiers fermés et, autant que possible, tenus à l'écart des autres, voire expulsés.
Une chose est claire : il faut ne pas confondre les termes et les concepts. Xabier Santxotena, fier descendant de cette communauté, dans le journal Diario Vasco affirme que "les cagots descendent des anciens Goths, ariens, donc hérétiques, et touchés par le catharisme". "Nous ne sommes pas une race, mais une corporation de menuisiers". Les cagots n'étaient pas différents de leurs voisins, quelles que soient leurs croyances ou leurs traditions.
Quoi qu'il en soit, ce que nous savons, c'est qu'ils se sont installés à Bozate. Ce petit quartier d'Arizkun, dans la vallée de la Baztan, est toujours lié à cette communauté. C'est un "endroit paisible, entouré de bois, sur les rives de la rivière Baztan", déclare Santxotena sur la page consacrée à sa communauté. "Un quartier heureux où se distingue le sens musical de ses habitants".
Quelque temps auparavant, Pío Baroja avait également souligné cet aspect artistique des cagots dans son œuvre Las horas solitarias. Dans cet ouvrage, il décrit les cagots comme "des personnes d'Europe centrale ou du Nord. Il y a des vieux à Bozate qui ressemblent à des portraits de Dürer, avec un air germanique. Il y en a aussi d'autres qui ont un visage plus allongé, plus sombre, rappelant le gitan".
Dès le début, les cagots ont été liés aux corporations médiévales de menuisiers et de travailleurs de la pierre. Ces professions ne leur ont pas suffi à obtenir la reconnaissance de leurs voisins, plus attentifs à leurs origines désormais incertaines et aux légendes. Le travail de recherche d'Eduardo de Velasco, Los agotes del Pirineo (Les agotes des Pyrénées), explique bien ce rejet : "ces malheureux n'ont jamais exercé de fonctions publiques d'aucune sorte, ni participé d'une manière ou d'une autre à l'administration du pays qu'ils habitaient, ni épousé d'autres habitants, ni pris part avec eux aux actes les plus courants de la vie. Ils avaient une place à part dans le temple, des cimetières séparés, et un stigmate maudit pesait sur eux, qui se transmettait de génération en génération sans que personne ne sache sur quoi il était fondé, ni d'où il venait, ni quels faits justifiaient une conduite aussi singulière".
Les cagotes n'avaient pas le droit de marcher sur l'herbe, de peur qu'elle ne pourrisse à son contact. Pour la même raison, ils ne pouvaient pas toucher les fruits au marché. Ils devaient porter des badges qui les identifiaient comme membres de cette communauté marginalisée. "On disait aussi qu'ils étaient les charpentiers qui ont fabriqué la croix sur laquelle le Christ est mort, qu'ils avaient une queue, qu'ils puaient et d'autres bêtises de ce genre", explique Toti Martínez de Lezea. Il existe des documents d'un procès intenté par une famille de cagots après qu'on leur ait interdit de pêcher la truite dans la rivière commune au milieu du XVIIe siècle. Il n'y a pas d'explication à une telle discrimination.
Si cette histoire continue d'attirer l'attention des chercheurs et des journalistes, c'est parce qu'il n'y a toujours pas de réponse claire à la question qui sous-tend ce texte et bien d'autres : pourquoi les cagots étaient-ils si rejetés ? Qu'est-ce qui les différenciait de leurs voisins ? Même à la fin du XVIIe siècle, le chef d'une famille noble de la région, Pedro de Ursúa, a dû défendre les droits de cette communauté devant les tribunaux de Castille et d'Aragon. Pourquoi ce noble les reconnaissait-il alors que le peuple les rejetait ?
Un autre nom important, Juan de Goyeneche, un ami du roi Charles II, était lié à cette communauté. La croyance populaire veut que la ville de Nuevo Baztán, aujourd'hui une municipalité de Madrid, ait été fondée à partir d'une colonie de Navarrais. Parmi eux, il y avait plusieurs cagots. Goyeneche leur aurait offert une nouvelle opportunité loin de la marginalité de la vallée, dans ce Nuevo Baztán/Nouveau Baztan où ils travailleraient comme bâtisseurs et scribes. Il n'y a aucune trace de noms de famille cagots dans le recensement de la population du début du XVIIIe siècle, lorsque Nuevo Baztán a été fondée, mais cette possibilité n'a jamais été écartée. Ce n'est qu'au XIXe siècle que l'on a finalement considéré que la situation des cagots devait changer, suite à une intervention ferme des Cortes de Navarre qui reconnaissaient les cagots comme égaux à leurs voisins.
À partir de ce moment, les préjugés ont commencé à tomber. Bozate n'est plus qu'un quartier de la vallée de la Baztán, mais le souvenir de ce qui s'est passé sur ces terres est encore bien présent. Les descendants de cette communauté marginalisée ne veulent pas que leur histoire soit oubliée. C'est dans ce but que Xabier Santxotena a construit le musée du parc Santxotena, une symbiose entre l'art et la nature qui est, avant tout, un hommage aux cagots. Ils continuent d'habiter la vallée de la Baztan et, bien qu'ils soient désormais dans une situation d’égalité réelle, le poids du mystère pèse toujours sur eux.