Entre Biescas et Sabiñánigo, comme tout autour de ces deux villages de la province de Huesca, fut construit tout un groupe d’églises que l'on peut qualifier de bizareries. Ce sont les églises de Serrablo, un ensemble de constructions des Xe et XIe siècles qui s'élèvent dans les environs de l'Alto Gállego. Près des Pyrénées et de la vallée de Tena, elles présentent des caractéristiques qui suscitent encore des débats. Certaines théories les définissent comme mozarabes, d'autres comme romanes et il y a encore celles qui prônent qu’elles forment une transition préromane très localisée. Quoi qu'il en soit, l'itinéraire qu'elles constituent est l'une des meilleures alternatives pour connaître la région où elles sont installées.
Bien qu'aujourd'hui leur importance ait été reconnue, les églises de Serrablo sont restées longtemps dans l’inconnu. Le dépeuplement qui affecta la région historique serrablesa, dont le territoire ést aujourd'hui assez semblable à celui de l'Alto Gállego, a également eu sa part quant à ces temples. L'abandon fut ravageur mais au début des années 70, une entité fut créée pour sauver l’ensemble et le mettre sur la carte touristique. L'association Amigos de Serrablo a restauré les bâtiments, grâce à quoi ils ont été déclarés Monuments Historiques-Artistiques en 1982.
Par le passé, à la suite des recherches menées dans les années 1920 par Rafael Sánchez Ventura, ces lieux de culte avaient suscité une discussion académique notable. Comme on l'a dit, il s'agissait de savoir si elles étaient proto-romanes ou mozarabe. En tous cas, Elles sont homogènes et présentent des éléments qui permettent de les observer comme un ensemble. L’abside est ce qui définit le mieux les églises de Serrablo: une combinaison d'influences carolingiennes et arabes. Sauf pour les plus primitives, toujours avec des réminiscences wisigothiques claires, elle est semi-circulaire avec un décor uniforme. De même elle est toujours orientée à l'est.
À l'intérieur, ces chevets optent pour un accès en forme d'arc de triomphe, généralement un léger fer à cheval. Tandis qu’ une voûte en berceau recouvre l'espace. Ce qui frappe à l'extérieur dans le haut on voit une frise de baquetones,( moulure en forme de colonnes) sous une corniche tandis que en dessous,sont cinq et neuf, la plupart du temps sept, arcades aveugles. Elles sont soutenues par des lesenas, des moulures qui semblent être des contreforts mais qui n'ont qu'une fonction décorative. Une baie semi-circulaire dans l'arc central, évasée vers l'intérieur, laisse entrer la lumière.
Leurs tours sont une autre particularité très reconnaissable des églises de Serrablo. Bien que la plupart d'entre elles aient été considérablement modifiées, on y voit l'une des grandes influences arabes. Sans être aussi élancée que celles de la vallée de Bohí, leur silhouette stylisée se remarque. Grande et élancée par rapport au temple, leur forme prismatique était complétée par des fenêtres dans leur dernier corps. Il s'agissait auparavant de groupes de deux ou trois ouvertures avec des arcs en fer à cheval, enfoncés dans le mur et encadrés dans un alfiz, une moulure rectangulaire qui les entoure, très courante dans l'architecture musulmane.
Ce type de fenêtre se répète sur les parois latérales, les arcs en fer à cheval et l'alfiz étant une autre combinaison habituelle dans les églises de Serrablo. L'accès aussi utilisait ces éléments, de sorte que les portails étaient créés sans aucune décoration. Avec une seule nef, petite et sans renforts extérieurs, ses ouvertures étaient généralement situées du côté sud, y compris la porte. Une décision logique en raison du climat pyrénéen de Huesca. Avec le temps, ils passèrent à dépendre du monastère de San Juan de la Peña.
À une dizaine de kilomètres de Biescas, à un quart d'heure en voiture, se dresse le temple le plus exemplaire du complexe de Serrablo. En fait, il est connu maintenant sous le nom de Círculo Larredense. Il s'agit de San Pedro de Lárrede, situé sur la rive gauche du Gállego, comme la plupart du groupe architectural. Un petit village qui fait partie de la municipalité de Sabiñánigo. Vous ne pouvez pas vous perdre, car le village est minuscule et la tour sert de référence pour l’église.
À côté de la construction religieuse, dans une petite construction de deux étages qui en est détachée, se trouve le Centre d'interprétation des églises de Serrablo. Il couvre le rez-de-chaussée et comporte une série de panneaux qui comptent à la fois les caractéristiques générales et particulières de chacun des membres individuels. Une aide nécessaire pour savoir que remarquer en l’absence de guide, ainsi que pour planifier un itinéraire entre les églises.
Une fois que l’on sait ce qu'est un alfiz ou une frise de baquetons, on peut apprécier San Pedro de Lárrede sans problèmes. Ce qui frappe en premier est son plan en croix latine, grâce à deux chapelles latérales ouvertes. Ironiquement, le plus grand représentant du style Serrablés saute l'une de ses principales caractéristiques. Quoi qu'il en soit, il n'a toujours qu'une seule nef, couverte par une voûte en berceau soutenue par des arcs doubleaux. Ils reposent sur des colonnes brutes et simples. Dans tous les autres cas, le toit est plat ou à deux pans. Pas un seul détail décoratif n'est apprécié. L'abside, aussi simple qu’elle puisse l’être, est encadrée par un arc de
Quant aux fenêtres il faut signaler celle du côté ouest, avec deux petits arcs en fer à cheval et un faux alfiz. Les autres sont en demi-cercle et ressemblent à des meurtrières, ce qui minimise le froid. A l'extérieur, l'abside répond à cent pour cent au modèle Serrablo. Pour la voir, il faut traverser le cimetière local, situé près du chevet. Sa tour, l'une des deux les mieux conservées du complexe, est tout aussi remarquable. À 17 mètres, elle rappelle beaucoup un minaret. Des fenêtres s'ouvrent dans la dernière section, sous la forme d'une triple baie avec un arc en fer à cheval, complétant l'aspect arabe.
Suivre les traces des églises de Serrablo vous permet également de vous rendre dans divers sites desquels, autrement, on ne tiendrait pas compte. Les recoins de l'Alto Gállego où les églises cachées sont regroupés géographiquement en plusieurs zones, il est donc facile de segmenter l'itinéraire. De cette manière, la visite peut être fragmentée sur plusieurs jours, même se complémentant les uns, les autres. Il est à noter que chaque temple a un panneau d'information à l'extérieur et la plupart d'entre eux sont fermés.
Voici les églises, sur les 15 incluses dans l'itinéraire, qui sont les plus proches de Biescas. L'accès à toutes est parfaitement possible, bien que par des routes secondaires ou rurales. La plus proche de la ville à partir de laquelle s'ouvre la vallée de Tena est San Bartolomé de Gavín. L'une des plus anciennes, qui est accessible par la route nationale qui finit par rejoindre Torla, Broto et le P.N. d'Ordesa et du Mont Perdu. Bien qu'une partie seulement des murs et de la tour restent d'origine, c'est peut-être la plus remarquable de tout Serrablo. Son dernier corps, avec des fenêtres à triple arc en fer à cheval et alfiz, rappelle celui de San Pedro de Lárrede. Elle se trouve à côté d'une belle prairie, au milieu de nulle part.
Au sud-est de Biescas sont situées les autres : Santa Eulalia de Oros Bajo a retrouvé un accès précédé du cimetière, un habituel dans les églises de Serrablo. Elle contraste avec le temple de Gavín car c’est l'un des derniers exemples du style serrabien, dans lequel le roman lombard prend déjà le pas. Les arcs extérieurs de l'abside subsistent mais pas la frise des baquetons ce qui en est la claire démonstration.
Par la même route, vous arrivez aux deux églises suivantes. La première est celle de San Martín de Oliván. Elle s'adapte au terrain et a subi des modifications forcées. Ainsi, une seconde nef complète l'original, y compris la chapelle. La raison de sa construction en fut l'effondrement du mur latéral. En fait, si vous êtes un bon observateur, il est facile de voir que la plupart des structures de la zone du Serrablo sont inclinées en raison du manque de contreforts. Quatre kilomètres sur une mauvaise petite route et l’on se trouve à Santa Eulalia de Susín. Partie d'une zone dépeuplée, elle présente des modifications majeures du XVIIe siècle, malgré lesquelles le chevet et une belle fenêtre à deux arcs en fer à cheval ont survécu.
Il nous reste enfin, l'une des églises les plus curieuses de Serrablo. Il s'agit de San Juan de Busa, située tout près de Lárrede. Là encore, seule une prairie accompagne le bâtiment, totalement isolée. On ne sait pas trop pourquoi, sa porte d'accès possède un décor sculpté dans son arcade. Un fait unique dans le groupe. De plus, son chevet n’est pas couvert par une voûte en plein cintre. Il semble qu'il y en eut la moitié et qu'une solution ait été choisie pour la terminer qui de l'extérieur fait penser à un bateau. Heureusement, elle est ouverte et contient des informations intéressantes.
Près de Lárrede, mais au sud, vous avez deux nouveaux exemples d'églises de Serrablo. Leur accès vous permet de vérifier la disposition des petites vallées continues rayonnantes à celle de Gállego. Les villages où elles se trouvent présentent une architecture populaire locale créant un cadre charmant. Ainsi, San Andrés de Satué fut construit au milieu du XIe siècle et a donc un fort caractère roman. Malgré cela, son chevet continue à conserver sa disposition de serrablo qu'elle affiche avec une perfection exceptionnelle.
De la même période et caractéristiques similaires est Santa María de Isún de Basa. Son chevet est parfaitement reconnaissable. De même, il convient de remarquer un chrisme de style navarrais, une représentation calligraphique du Christ, situé dans la fenêtre ouest. Enfin, dans cette partie de l’itinéraire, bien qu'elle n'appartienne pas aux églises de Serrablo, celle romane charmante de San Juan de Orús est à voir. À partir du XIIe siècle, elle sert de référence pour vérifier l'évolution architecturale qui a prévalu dans l'Alto Aragón.
La plus lointaine des églises de Serrablo est celle de San Martín de Ordovés. Si San Bartolomé de Gavín ou San Juan de Busa étaient au milieu de nulle part, celle-ci pousse le nulle part à l'extrême. Dans un village où il ne reste qu'une ferme, absolument isolée entre les cultures et quelques bosquets, le silence entoure complètement l’édifice. C'est une petite construction, de type roman extrêmement humble et évidemment de caractère tardif. Ainsi, son chevet perd les arceaux aveugles mais conserve une frise très stylisée de baquetons, Cela vaut la peine de profiter du calme du lieu et de la campagne où elle se trouve pendant un moment.
Pour finir, il faut passer du côté ouest de la N-320 et traverser la vallée de Caldearenas. Où se trouvent deux édifices du Serrablo tardif, largement cachés par des éléments postérieurs. Dans le cas de San Martín de Artó, pour y arriver, il faut grimper au sommet du village. Un mirador exceptionnel vous attend à côté de l'église. En en faisant le tour, vous pouvez voir une partie du chevet d'origine avec la frise encore reconnaissable des baquetons. Tandis que, San Pedro de Lasieso maintient également ce trait, bien que disposés comme à l’Ordovés, sans arcades aveugles. En suivant la route à travers la vallée, il vaut la peine de s'arrêter à Orna pour voir le temple de San Miguel. C'est un superbe exemple de damier roman, un style qui s'est répandu par tout le Chemin de Compostelle. Sans surprise, cet environnement et la proche Jaca furent l’entrée du Chemin Aragonais.